J’ai vécu en six pays, mais c’est seulement en France qu’on m’a posée cette question. Hélas, elle en revient encore presque chaque jour. Au départ, cela me faisait sentir bizarre. Étais-je un morceau de viande, un poulet élévé en plein air, une boîte d’œufs BIO ou un paquet de biscuits pur beurre ?
Souvent, « je suis portugaise », parfois « je suis européenne » et, de temps en temps, je deviens « une citoyenne du monde ». Une globetrotter jusqu’au aux os.
Certains gaulois se vantent d’être 100% français, de vrais des vrais (y en a-t-il des faux ?). Et que dire des pures souches qui s’appellent Loïc Sanchez, Stéphanie Ferrari, Antoine Gonçalves ou Marie Schneider ?
Nous sommes tous issus d’un beau mélange. Et cette diversité nous rend uniques. C’est notre force.
La France aime cocher des cases, trouver des étiquettes, se débarrasser des particularités de chacun. La différence dérange… beaucoup. Et le glamour du mot expatrié est réservé aux français qui vivent à Dubaï, Hong Kong, Sidney ou New York. En revanche, les étrangers qui ont la chance (oui, ça se mérite, vous croyez quoi ?) d’habiter dans l’hexagone sont tout simplement des immigrés, des migrants, des exilés, des réfugiés, des sans papiers.
Les français ne sont pas les plus doués pour les langues étrangères. C’est comme ça, on n’y peut rien. Ils considèrent leur accent anglais très chic. Et ils ont raison. C’est la French touch ! Néanmoins, quand les étrangers parlent la langue de Molière ils doivent être parfaits et les fautes sont interdites. Quel horreur !
Pendant mes longs séjours en Espagne, en Irlande, en Suisse, et en Italie les locaux me félicitaient de mon aisance et de mon ample vocabulaire quand il s’agissait de communiquer avec eux. Mon cerveau pense, rêve, lit et rigole en plusieurs langues. Les accents dansent dans ma tête tel le soleil enlacé par les nuages.
En France, c’est un jour de pluie intérminable. Il ne faut surtout pas chanter si je veux éviter d’être ridiculisée. Rire de moi-même j’en ai l’habitude (il me le faut), et ça ne changera pas. J’invente des expressions, je joue avec les mots. Les langues sont vivantes et évoluent, même si certains professeurs de français ont du mal à l’accepter. Mes enfants en souffrent !
Il m’a fallu du temps pour que je m’assume comme une portugaise polyglotte avec un petit accent (ça chatouille). Pendant des années, je ne me jugeais pas assez bien pour la République Française. Je demandais presque la permission pour marcher sur le même trottoir que les vrais français. Je devrais les remercier encore et encore. Peu à peu, je me sens legitime dans ce pays que j’aime presque plus que le mien.
Je suis une éponge. J’absorbe tout ce qu’il m’entoure, je respire tous les lieux, je mange tous les paysages, j’enregistre toutes les langues, je dévore toutes les cultures, je lis tous les visages. Je nage dans l’immense océan. Je survole la vaste terre.
Je ne serai jamais une vraie de vraie, mais cela ne veut pas dire que je suis une imposture. Mon arrière-grand-mère est née à Rio de Janeiro et ses grands-parents maternels étaient espagnols. J’aime les mélanges bien assaisonnés. Un peu de piment pour colorer la vie. Je suis une étrangère. Ici et là-bas. Je suis une parfaite imparfaite. Une complète incomplète. Je me perds, je me cherche, je m’égare à nouveau, je me (re)trouve. Et ça me va… très bien !
Filipa Moreira da Cruz